« Vous vous êtes perdus? » nous lance un français baroudeur que l’on soupçonne de bosser pour une ONG collaborant avec le village où l’on vient d’atterrir. Nous sommes suants mais tout sourire par cette belle montée vers Phoukhoune. « Non pas du tout. On cherche juste un endroit où manger ». On dégustera finalement un « Phô », typique soupe de nouilles, dans un boui-boui du village. Le premier d’une longue liste qu’on alternera avec le Ko piak (version avec les nouilles plus épaisses) juste pour casser la monotonie de nos repas de midi. Il faut dire qu’ici il n’y a pas de menu parce que les gens savent quoi commander. Sauf, comme nous quand tu es étranger et que tu as déjà tenté de mimer les nouilles frites sans grand succès.
La tente est humide au réveil et une brume épaisse couvre toute la belle vue de la veille sur la vallée avant notre départ. Quel plaisir de rouler à travers ces paysages vallonnés, c’est beau, authentique, les vues sublimes se succèdent et les villages qui bordent le long des routes sont toujours aussi jolis. Un homme porte son bébé. Un groupe tape la carte. Deux femmes discutent dans leur hamac au bord de la route. Un autre groupe de femmes confectionnent des toits en feuilles séchées.
C’est l’heure du bain, les villageois continuent de nous saluer tout en se lavant auprès des sources d’eau au bord de la route. Un gamin tient son manuel scolaire à la main. Il m’alpague en lao et j’ai à peine le temps de lui répondre en souriant que je ne parle pas sa langue qu’il pousse de toutes ses forces mon vélo sur quelques mètres pour m’aider à monter la pente de sortie de son village. Son geste me fait rire et me touche de simplicité et générosité. Il a du être un peu surpris par le poids mais il l’a fait avec un tel élan que cette montée m’a parue beaucoup plus courte qu’elle n’était vraiment.
Un homme titube et m’observe au moment où Corentin me montre avec un sourire contrit un verre de bière rempli « J’ai rien pu faire ils me l’ont tendu ». « Bon ben j’en prends un aussi alors » lui répond-je avec un petit sourire en coin. Les laos aiment boire et faire la fête et il faut être ferme pour pouvoir éviter le traquenard alcool, on arrive néanmoins à repartir après quelques bières pour quelques kilomètres de plus.
Mes yeux sont subjugués par le feu qui crépite devant nos yeux pendant que nous préparons nos pâtes aux légumes. Je suis fière de nous et de moi, c’est mon premier feu sans assistance d’un.e plus expert.e que moi. Mes compétences en camping commencent sérieusement à s’étoffer. Cela fait deux nuits que nous sommes à 1300m d’altitude, qu’on se réveille avec de la brume et qu’il fait froid. On entame la descente vers Phonsavan avec les pulls.
Cette descente est un pur bonheur, la route offre des paysages sublimes sur les villages en contrebas et petit à petit la route s’étire pour faire doucement place à de timides plateaux de rizières sèches et buffles broutant paisiblement tout en remuant leurs oreilles. Je savoure le silence, pur et brut de certaines zones boisées et inhabitées. Même les animaux et les enfants sont calmes par ici. Je suis réveillée de ma rêverie par le vent qui s’engouffre plus facilement dans la vallée et nous force à pousser plus fort sur les pédales pour atteindre notre destination.
On se balade dans la plaine de Phonsavan jonchée d’immenses jarres datant vraisemblablement d’une période allant de 500 avant J-C à 800 après JC. Ces plaines ont été découvertes en 1889 et étudiées par une femme archéologue (Madeleine Colani) lors de l’occupation française d’Indochine. « Peut-être que c’était des tambours » lance en rigolant Etienne qui nous a accompagné à vélo pour cette visite. « Ou des gardes-mangers » renchérit Coco. En vrai personne ne sait vraiment à quoi elles ont pu servir ces jarres même si la thèse du monument funéraire est celle qui semble la plus probable à la communauté scientifique. Cette thèse pourrait peut-être bientôt être appuyée davantage par un archéologue australien sur place qui vient de découvrir un squelette que l’équipe dessine patiemment sur un papier millimétré.
J’observe pensive un des nombreux impressionnants cratères d’une des bombes datant de la guerre du Vietnam (1964-1973). Les américains ont bombardé allègrement le Laos à l’époque car il abritait la tristement célèbre piste « Hô Chi Minh », ce réseau de routes pour ravitailler les troupes du vietcongs au Sud-Vietnam. Ces cratères sont légions dans la région et particulièrement sur les plaines de jarres. Depuis de nombreuses associations se sont attelées à déminer le sol laotien pourrit de ces saletés mutilantes qui ont ravagé encore beaucoup de paysans laos après la guerre. L’être humain peut être si créatif, inventif et dépensier lorsqu’il s’agit de tuer.
« On est pas si fainéants finalement, quand on y pense » je lance aux garçons. « On se casse la tête depuis la nuit des temps à construire plein de trucs pour des/un dieu(x), pour la guerre, pour manger (et bien s’il vous plait), s’habiller, faire la fête ou pour soit-disant se faciliter la vie mais finalement on en a jamais fini le travail on s’affaire toujours ». On se relance dans une discussion philo, socio, politique avec Corentin et Etienne. Quel plaisir d’intellectualiser un peu. Ces discussions, trop rares, commencent sérieusement à me manquer. La veille de cette sortie aux plaines des jarres et à Mouang Khoun, ancienne capitale de la province, nous avons passé une excellente soirée dans cette petite ville avec Sophie et Etienne, contact de Dominique. Ils habitent à Vientiane et se trouvaient à Phonsavan en même temps que nous pour le travail de Sophie.
J’ai l’impression d’être à la piscine. J’entends les même cris d’enfants qui jouent dans l’eau. Je souris en observant en contrebas les enfants du village patauger dans un réservoir d’eau. Quittant Phonsavan on continue à descendre doucement vers le Sud. A mesure qu’on perd de l’altitude l’air se réchauffe. On descend mais on monte aussi, le Laos est très vallonné et nos cuisses l’éprouvent en première ligne.
« On a dark desert highway…. » Micros en main, échos à fond les ballons dans le baffle comme à l’habitude en Asie du Sud-Est, Coco et moi chantons pour nos hôtes un tube occidental qui n’a pas l’air de « ring a bell » chez eux comme on dit. Les laos sont fans de karaoke mais par contre on a pas du tout le même répertoire. On a droit de leur part à des chants de pop laotiennes que Coco et moi exécrons. Il s’avère que j’ai découvert que je ne supportais pas la musique d’Asie du Sud-Est. Chansons d’amour cheesy au possible et un rythme et harmonie très éloigné de nos habitudes. Coco a fait la même découverte, pas mal pour le soutien moral. On encourage néanmoins nos hôtes en tapant des mains tandis qu’ils nous somment de terminer nos verres de bières lao cul sec. Belle récompense des trois crevaisons de Coco aujourd’hui, on a entamé l’apéro tous les deux au village avant qu’une voisine insiste deux fois pour nous accueillir chez elle pour la nuit.
Les cigales s’en sont donnés à coeur joie toute la journée mais elles laissent doucement la place à d’autres animaux qui piaillent et crient dans tout les sens. J’aime la luminosité et les couleurs du ciel en fin d’après-mdi juste avant le coucher de soleil. Le soleil lèche les montagnes, la lumière sublime encore davantage ces paysages rocheux que nous traversons. Un homme en habit de militaire, tenant un bandoulière un petit panier avec un coq (probablement pour un combat de coq), s’arrête pour discuter avec nous alors que Corentin vient de terminer sa douche nature à quelques mètres de notre camping dans les champs de teck. Il nous explique qu’il travaille à l’administration et est chargé de vérifier que tout le monde travaille mais aujourd’hui c’est dimanche il est dans son village avec la famille. La région produit beaucoup de teck ensuite importé vers le Vietnam notamment. Nous avons vu les récoltes séchées au soleil avant de se retrouver dans de grands sacs de toile et empiler à n’en plus finir dans des énormes camions. Il nous souhaite une bonne nuit et un bon voyage en repartant.
Buffalo est dans la pirogue devant moi pendant que j’observe les contours de cette grotte de Konglor. Magnifique traversée de la grotte par la rivière souterraine, nous sommes déposés de l’autre côté. Je peine à croire qu’en saison des pluies, la route n’est pas praticable et que la grotte est totalement inondée tellement elle est grande, haute et imposante.
Il fait extrêmement chaud sur le plateau de Nakay, pas étonnant que je me sois chopée une insolation pas piquée des vers la veille. Elle m’a sommée une fin de soirée, sans dîner, à 18h et m’a tenue une bonne partie de la nuit sur les toilettes. Enfin elle m’aura permis de petit déjeuner un des plus épiques petit dej du voyage : du pepsi et du riz blanc. Il n’empêche que ce plateau est beau et qu’on avance malgré tout vers le réservoir d’eau de Nakay même si je me traîne littéralement derrière Corentin. Des buffles se rafraichissent dans la vase au bord de cette route en terre battue.
Les écolières à vélo, petit noeud rouge dans les cheveux et vêtues d’un sinh noir (jupe traditionnelle) et d’une chemise bleu clair se protègent du soleil avec un parapluie et nous sourient à tous les trois tandis que l’on roule sous le soleil de plomb vers Thakek. Nouvelle rencontre improbable. Fabian est un cycliste que j’avais rencontré avec JC à Teheran et là au bord de la route, pendant je réparais une crevaison (Oui vous avez bien lu avec mes pneus schwalbes marathon plus ! Autant dire qu’il y a en théorie la probabilité que je crève avec ces pneus est la même probabilité que celle que Donald Trump nous ponde une sortie de plan de crise en Palestine potable, autant dire zéro. Probablement que Buffalo a voulu être solidaire du vélo de Corentin qui totalisait déjà 6 crevaisons. Son vélo a néanmoins voulu montrer qu’il était le chef puisqu’on a eu droit à une ultime crevaison à 20km de Thakek.) Toujours est-il que j’ai crevé et que Fabian a surgit de la descente et en s’approchant, il a sourit en disant « Heeey I know you ». Le monde est décidément à la fois si petit et si grand.
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