Buffalo Soldier n’aura jamais aussi bien porté son prénom que sur cette route du Pamir. Je le sens trembler de tout son corps sur les routes de tôles ondulées, je me demande parfois comment il tient encore en un morceau tellement il brinquebale. Buffalo tente de rester debout alors que son arrière-train serpente dans le sable. Il reste vaillant tant que faire se peut dans les montées de gros cailloux. Sable, cailloux, tôles ondulées, cols à 4000m d’altitude, désert, après avoir roulé sur la route du Pamir tu te dis que tu es paré pour tout type de conditions.
Dès notre départ de Qal’ai Khumb, on suit l’Afghanistan. Je salue de la main les afghans qui nous appellent. La frontière est toute proche, il n’y a que la rivière panj qui nous sépare de l’Afghanistan. On distingue les paysans et les boeufs avec leur charrue qui travaillent la terre. Le pays semble tellement paisible et calme, loin des images que l’on voit aux informations. Des cascades surplombent plusieurs villages verdoyants et cassent le paysage sec et presque désertique du relief de la région.
« Come to my home » une jeune adolescente tadjik nous propose de venir chez elle. Il faut dire qu’on squatte son magnifique jardin bordé d’une petite plage en face d’un gigantesque rocher du côté Afghan pour notre pause de midi. On finira par prendre le thé chez elle et on se fera offrir des pommes.
J’enfile mon maillot pour me baigner dans l’eau très fraiche du panj lors d’une de nos pauses sur une plage de sable. A 2500m d’altitude, je n’en reviens pas de voir autant de sable. Il y a des passages où il y a carrément des dunes. En journée le mercure grimpe à plus de 30° par contre nos soirées de camping sont courtes car dès que le soleil se couche la température dégringole.
On fait le bilan des pertes de matériel et un bon nettoyage des vélos lors de notre pause dans un chouette hostel à Khorog, dernière ville d’importance avant un bon moment. Khorog est une des villes phares du Pamir et point de départ ou d’arrivée de nombreux touristes, on y croisera d’ailleurs bon nombre de cyclotouristes. C’est l’occasion d’échanger les bons plans, les galères et de partager de chouettes moments avec des voyageurs.
Pour rejoindre Osh au Khirgistan trois options s’offrent à nous :
la M41, l’ancienne route militaire. C’est la voie la plus empruntée ce qui signifie plus de villages mais aussi une route en meilleure condition.
la Bartang valley, la route du nord. C’est la voie la plus reculée, plus courte mais plus rude car elle demande plus de jours d’autonomie et n’est constitué que principalement de piste mais apparemment c’est une des plus belles.
la Wahkan valley, la route qui longe la frontière afghane. Très jolie aussi mais principalement de la piste et un premier col à 4300m qu’il parait est assez rude.
Paré comme à la guerre, plein de renseignements, vélos propres et sacoches bien accrochées au vélo, notre biking gang se lance finalement sur la Wahkan. Ce corridor entre l’Afghanistan et le Tadjikistan séparé par le Panj historiquement tampon entre l’empire russe et l’empire britannique (celui-ci allait jusqu’au Pakistan) est aujourd’hui surtout emprunté par des touristes cyclos, motards et en jeep et les quelques habitants de cette région aride. Je n’ai jamais autant croisé de cyclistes (et pas mal de belges) que sur cette route, on en croise pratiquement tous les jours.
Mirzo souffle dans l’harmonica de JC, heureux de faire un peu de musique. Ce gamin d’une douzaine d’années nous a alpagué dans son village pour nous demander de venir chez lui. Tout fier il nous a montré sa maison, chanté l’hymne tadjik et nous tentons de partager le peu de ce qu’on a avec lui et sa famille (harmonica, flûte, origami, fruits, chocolat) pour les remercier de leur accueil simple. La maison de Mirzo est très sobre des tapis tapisse le sol, aucun meuble et deux grandes pièces. Il n’y a pas de salle de bains, les « toilettes » sont dehors et un cours d’eau dans le jardin sert de source d’eau. Le matin le petit déjeuner se compose d’un thé au lait et de pain. Je suis toujours aussi impressionnée de l’hospitalité des personnes durant le voyage alors qu’ils n’ont rien.
Instant de pure bonheur, sans douche chez Mirzo et après une nouvelle journée de vélo, la trempette dans la source d’eau chaude logée dans un baraquement et sous forme d’une piscine sur la route est magique. Nos muscles se détendent. C’est notre dernière journée avant le début de l’ascension vers le col de 4330m. J’appréhende un peu le froid.
Après une ascension rocailleuse à 12% (au moins) qui nous coûte notre souffle nous arrivons dans la partie plus désertique de la Wakhan. On voit les sommets enneigés au loin. Pour éviter les risques de mal des montagnes on décide de monter par pallier et de s’arrêter à 3500m dans un gîte repéré sur la carte. Une petite balade derrière le gîte avant de lancer le poêle à la bouse de vache (une première), se sustenter et s’emmitoufler dans nos sacs de couchage pour passer la nuit.
« crouic crouic scratch scratch » la nuit est mouvementée par les allées et venues des souris qui s’affairent toute la nuit. Le matin surprise ! La nouvelle sacoche ortlieb de Valentin pourtant bien fermée a été grignotée par les rongeurs. La nuit en gîte c’est bien pour se protéger du froid mais les souris s’en sont donnés à coeur joie. Heureusement nous avions placé la plupart des victuailles en hauteur (par prévention) et elles ne sont attaquées qu’à une sacoche fermée et à la poubelle.
4000m d’altitude, des soldats vérifient nos passeports et visa. On s’arrêtera dans un gîte aussi pour la nuit à proximité d’une base militaire. Mes cheveux sont en carton, je me sens sale et j’ai une furieuse envie de snickers (je n’en mange pourtant jamais mais ici le sucre c’est la vie). C’est la quatrième nuit sans douche, l’eau est en effet glacée, il fait nuit tôt et il fait très vite froid. Nous avons de la nourriture en suffisance mais on se rationne un peu pour les biscuits et chocolat (auquel on carbure) car il n’y a aucun ravitaillement avant Alichur qu’on compte atteindre le lendemain après le col à 4334m.
La rivière est glacée pendant notre ascension tranquille vers le col qu’on atteint sereinement. Il nous reste 40km normalement de descente vers Alichur. Finalement la descente s’avère lente, une semi-descente avec des faux plats, des montées et du sable dans lequel on s’enlise. On manque d’eau et ayant repéré un lac on décide de s’y ravitailler en eau. Surprise ! le lac est salé. On a encore 20km avant d’atteindre le prochain point d’eau. On prie un peu pour pouvoir y arriver sans encombre et que l’état de la route s’améliore à un moment, nos fesses ne supportent plus la tôles ondulées que l’on a depuis plusieurs kilomètres.
Alsphatisfaction ! Moment orgasmique lors du croisement avec la M41 que l’on rattrape et qui nous offre quelques kilomètres d’asphalte : le bonheur à l’état pur ! On va enfin pouvoir avancer sans sentir tous nos organes trembler et atteindre le point d’eau pour pouvoir cuisiner notre repas de midi et étancher notre soif.
Assis à 3, après une douche salutaire, on se détend dans le sauna chauffé à la bouse de vache : la belle vie ! Quel plaisir après cette journée plus fatiguante que prévue d’être au chaud pendant que le vent glacial souffle dehors et que le jour s’éteint. Nous avons atteint le village d’Alichur, petite bourgade logée dans un haut plateau à 3800m. Le village est lui-même très sobre, difficile de s’y perdre. J’ai l’impression d’être dans un village de western, les maisons sont très espacées et un vieil homme se balade sur son âne. Le faciès des habitants ressemblent de plus en plus à celui des mongols, yeux bridés, visages ronds et peau séchées par le vent et l’altitude. L’électricité ne fonctionne que pendant certaines heures le soir et on a évidemment pas internet. En allant faire des courses, on croise des habitants qui dépècent un mouton. L’aventure continue demain vers Murghab et puis le lac Karakol.
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