Ce vent de face me fatigue. Un petit oiseau se débat aussi contre le vent. Je me sens comme lui. Je pensais entamer une longue et rapide descente vers Sisian que j’avais visé par hasard sur mon plan, après plus de 50km de montée et 1500m de dénivelé et ce vent qui souffle si fort je n’avance pas. Soupir. Buffalo ne fait pas le poids, il est lourd mais pas assez pour battre le vent, il est surtout pas du tout aérodynamique. Je pousse et tire encore cette semi descente puisque j’ai en fait encore 500m de dénivelé positif. Cette journée est longue et éprouvante mais le relief tel un milliers de plis de draps de velours orange me ravi.
Sisian s’avère être un belle surprise au point que je décide d’y rester deux nuits. Surtout qu’on me souffle dans l’oreillette qu’il y a un festival de la framboise le lendemain à 5km de là à côté des fameuses cascades de Shaki. Mes papilles ne font qu’un tour à l’écoute du mot framboise. J’ai presque hâte d’être le lendemain. Les paysages de Zorats Karer, ce site mégalithique qui daterait du IVème millénaire av. JC, sont à couper le souffle. Cet observatoire astronomique de nos ancêtres valait bien la montée de 3km de Sisian et l’atteinte des 100km sur cette journée qui, il y a 2h, ne me semblait pourtant plus finir.
Je filme Armen, le fils de mon hôte à Sisian, qui danse avec son groupe de la danse traditionnelle arménienne, tout en mangeant ma crêpe à la confiture framboise. Il va de soi que j’ai évidemment craqué en achetant une sorte de pâte de framboise solide et une confiture. Heureusement que je suis en vélo sinon j’aurai acheté tout l’étal. En matinée, j’ai roulé puis marché vers le Monastère de Vorotnavank superbement conservé. La ballade m’offre de sublimes vues sur ces gorges qui semblent taillées comme des orgues. Je rentre vers 13h à mon gîte. Il est tôt. Je profite de l’excellente connexion wifi pour bingewatcher une série Netflix. Haaa ! Comme à la maison. Karine, mon hôte, toque à ma porte en m’expliquant que son beau-père fête son anniversaire et qu’elle m’invite à partager le barbecue arménien avec toute la famille invitée pour l’occasion. Me voilà embarquée dans une nouvelle orgie de nourriture. Heureusement que je fais du vélo (et avec du dénivelé) sinon j’aurai déjà pris 10kg depuis le début du voyage. La situation de l’Arménie, avenir de l’Europe, de la Russie, des Etats-Unis en partageant le café avec le mari de Karine je discute géopolitique. Il m’explique que l’ancienne génération est encore très proche de la Russie tandis que la nouvelle génération s’en distancie beaucoup plus. Lui, a terminé ses études d’ingénieur agronome juste au moment de la chute de l’URSS. Le choc en rentrant en Arménie. Il a du tout reprendre à zéro.
Karine m’a conseillé un chemin pour rejoindre Tatev qui est plutôt pour marcheurs mais faisable à vélo normalement. Je sue, je grogne, je galère. Je perds la trace de ce chemin extrêmement dénivelé avec un col à 2150m. La vue est épatante, époustouflante. Mais quelle épreuve sur ces derniers 15km qui m’auront pris presque 3h. Même la descente est extrêmement rocailleuse et très raide bref technique. Les ronces et les chardons me griffes les mollets. J’ai vraiment l’impression d’être dans un épisode de woman vs. wild. Je finis par arriver au Monastère de Tatev où je passe la nuit chez une arménienne qui s’essaye au B&B (contact via via une amie à Karine). Je sers de cobaye pour cette ancienne proviseur, professeur d’Arménien et littérature arménienne de l’école de Tatev. Après le café, elle me met aux fourneaux, je deviens commis de cuisine. Pas sûre qu’elle ait bien saisi le concept du B&B mais je m’applique à couper mon concombre comme requis par madame la proviseur. Methy, une américaine, qui fait un volontariat de 2 ans en Arménie vit également là. On passe la soirée à discuter, chouette de pouvoir parler un peu plus qu’en petit chinois en ayant de vraies conversations. C’est un plaisir que l’on savoure que trop rarement je pense lorsqu’on est chez nous. Je savoure la route de montagnes entre Tatev et Kapan, oui du dénivelé (comme d’hab) sur une route non revêtue mais quel spectacle. En entamant ma montée vers Meghri j’entends le tonnerre qui gronde. Une camionnette s’arrête et deux hommes me proposent de me déposer à Meghri. Ce sont les 3ème de la journée qui me proposent de m’avancer. J’en ai marre de dire non et j’ai pas envie de me faire rincer. Ces joyeux lurons, le passager aura en douce sniffé un bon rail de coke, me déposent sans encombre à Meghri.
Sentiment partagé, j’ai très envie de découvrir l’Iran et je sens aussi de la peur. Peur de ne pas être correctement habillée, peur d’être à court d’argent (en Iran tu ne peux pas retirer de l’argent à cause de l’embargo), peur de l’inconnu aussi (entre temps je me suis habituée à l’Arménie). Je passe néanmoins la frontière sans un haussement de sourcil dans un beau décor de far west américain.
« Nadia, do you like to dance? », dans un car rempli de touristes iraniennes entre 50 et 80 ans, les femmes me demandent si j’aime danser et demandent au chauffeur de mettre la musique à fond pour pouvoir se déhancher dans le bus. A 30km de Jolfa, un mec s’est arrêté avec sa voiture et après m’avoir proposé de me déposer, ce que j’ai refusé, il a tenu un de mes bagages pour m’empêcher de partir en me disant : sex ? Je lui ai demandé de lâcher mes bagages et de partir mais après avoir lâché mon bagage ce pauvre type s’est décidé à me suivre. Je le vois me dépasser pour la deuxième fois et se loger un peu plus haut dans la montée. Je m’arrête pour analyser la situation et je hèle cet énorme car pour demander l’aide pour échapper à ce tordu. Me voilà en train de rouler des épaules sur la musique entrainante avec ces mamas qui me prendront sous leur aile et m’offriront le repas avant de me déposer à Jolfa. En espérant que cet incident sera le seul du voyage en Iran sinon je serai forcée de trouver une autre stratégie pour voyager ici. En arrivant à ma destination Marand, il est 12h et un jeune homme en mobylette me demande gentiment si j’ai 2 minutes à lui consacrer. Il m’explique qu’il est membre de warmshower (un réseau d’hébergeur de cyclistes) et prêt à m’héberger si je le souhaite. Il m’explique aussi qu’il a l’anniversaire d’une amie cet après-midi et que je suis invitée car c’est elle qui m’a repérée et qui l’a prévenue qu’une cycliste arrivait en ville. Heureuse de cette chouette rencontre inopinée avec Yashar je repartirai demain vers Tabriz pour rejoindre un ami à mon cousin qui voyage également à vélo vers le Japon lui.
(Dernière photo de l'Arménie qui est en fait une photo de l'Azerbaïdjan - j'étais dans les hauteurs de Kapan)
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