Charles Aznavour me lance le douanier à la frontière arménienne à la vue de mon passeport français. Je me dis qu’il va falloir que je révise mes classiques de l’artiste parce qu’à part la Bohème je ne connais pas grand chose d’Aznavour à qui on semble vouer un culte particulier ici en Arménie. Le paysage a beaucoup changé depuis le milieu de la Géorgie, la frontière nord ouest offre des paysages de vastes steppes sableuses et sèches parsemées de monts au loin. Je sens ce pays plus pauvre que la Géorgie. Un nombre incalculable de Lada sillonne les routes arméniennes et les maisons, magasins (market) sont très sommaires. Plusieurs bâtiments et maisons à l’abandon dont certains doivent être des vestiges de l’époque de l’URSS.
Le tonnerre gronde pendant notre pause de midi et le ciel s’assombrit à la vitesse grand V. Nous allons vers le ciel bleu et le soleil, on décide de faire un contre la montre avec l’orage. On y arrivera mais c’est sous le ciel bleu qu’on se fait malgré tout doucher avant d’arriver à Tachir. Cette ville moche sans aucune intérêt n’a pas de café/bar bref endroit pour se réchauffer. Très bizarre. Le seul intérêt de cette ville est qu’il semblerait qu’elle ait donné son nom à une marque de fameuses pizzas connues dans toute l’Arménie. On se réchauffe dans le seul hôtel de la ville. Etrange demeure dans laquelle pourrait se tourner un film d’horreur, entre les bungalow touristiques à la russe qui bordent le jardin, l’écureuil, l’autruche et les énormes lapins en cage, le glaive accroché au mur de la chambre ainsi que la peau de renard, Orianne et moi trouvons la décoration de l’hôtel pour le moins original.
La terre semble s’être divisée en deux. Nous suivons la rivière et son canyon verdoyant depuis quelques kilomètres. On décide de faire notre pause de midi dans un petit bled au soleil. Après avoir fini notre repas, une jeune fille d’une quinzaine d’années nous demande en passant d’où l’on vient et dans un anglais sommaire nous propose de venir chez elle. En avance sur notre programme, on accepte son offre avec plaisir. Sa maman nous propose d’abord un café avec des douceurs puis fini par nous donner du pain avec du fromage et puis finalement un plat de carottes avec du blé ou du sarrasin cuit. Bref on mangera deux fois. On repart lourdes pour nos derniers 15 km de la journée avec un kilo d’abricots de leur jardin.
Belgia ? ! Eden Hazard, Romelu Lukaku, Kevin Debruyn. Décidément nos red devils ont bonne réputation. Un petit marchand nous fait comprendre qu’il a été voir le match Panama - Belgique et qu’il supportait l’équipe belge. Ce ne sera pas le dernier à nous citer des diables rouges lorsque nous expliquons que nous venons de Belgique.
La vue du camping est imprenable sur la vallée du Monastère d’Haghpat. Plus on avance vers l’Est et plus le paysage se verdit. Les orages de fin de journée se répètent mais celui là est digne de l’apocalypse. Grosse grêle et pluie abondante rythmeront notre petite nuit sous la tente. On repart, plus tard, mais sous le soleil et avec une tente sèche vers Voskepar, le long de la frontière azerbaïdjane. Plus on s’approche de la frontière et plus on croisera des militaires, logique les relations entre les deux états sont comme qui dirait tendues.
Nos vélos s’engouffrent dans une allée de vignes avec au bout ce qui nous semblait être un parking d’une église. « Tu crois qu’on est chez des gens ? » me lance Orianne. Oui peut-être bien lui répond-je mais au moins on aura une bonne vue sur les possibles spot de camping. Quatre hommes torse nu bedonnant dont un dont l’IMC doit faire exploser tous les records nous proposent un café. Ils lavent au karcher de grosses mercedes. Ils nous expliquent tant bien que mal qu’ils sont propriétaires du domaine qui comprend un verger, un potager, deux églises, une fontaine, deux stèles commémoratives et un ruisseau. Ils nous invitent à dormir là et à partager le barbecue avec eux. Le patriarche du domaine, 86 ans, tatouages sur la main, yeux rougis par les veines de sang et cigarettes continues au bec ressemble davantage à un prisonnier lié à la mafia qu’à un hôte de gentilles cyclistes belges. On accepte le barbecue tout en se laissant le choix pour notre nuit. Yellow Arrow et Buffalo profitent du karcher pour se faire une nouvelle jeunesse. Les hommes nous préviennent que camper ici peut s’avérer dangereux, nous sommes à la frontière azerbaïdjanne et les tirs perdus sont fréquents. Ils nous suggèrent de camper de l’autre côté du mont. Sauf que la montée à 9% pendant 4km on pensait la réserver pour demain.
Les deux femmes, deux filles et le fils d’Ilia débarquent (on apprendra ensuite qu’il a en a un autre avec la première). On est rassurée de voir de la gent féminine autour de la table. Maria, la fille d’Ilia, lui-même le fils du patriarche, d’une quinzaine d’années nous sert de traductrice dans son baragouinage d’anglais. On partage le délicieux barbecue en compagnie de cette famille de russe millionnaires (aux dires d’Ilia). Ilia nous proposera finalement de dormir chez lui ce qu’on fera non sans se sentir obligées de boire plusieurs shots de vodka maison dont ils ont un stock hallucinant dans la cave.
7h30. On toque à notre chambre. Le patriarche me fait signe qu’il faut aller récupérer nos vélos chez lui. Ni Orianne ni moi n’avons eu le temps de dire aurevoir ou merci à Ilia et sa famille qui dorment encore mais on s’exécute. Ce réveil un peu abrupte aura au moins eu comme effet bénéfique de nous faire commencer notre journée de vélo tôt.
La brume est épaisse et de petites gouttelettes de pluie ruissellent sur mon visage pendant cette montée assez raide de 4km pour quitter Voskepar. On ne voit pas à plus de 5m. Aujourd’hui c’est mon joker, je suis légère sur le vélo d’Orianne qui, elle, porte Buffalo. On entame la descente doucement car on ne voit rien avec la brouillard.
Boum ! Krrrrr…. Un énooorme trou sur notre bande dans un virage aura eu raison de moi. Je vole part terre et racle sur quelques mètres la route. Je me relève pleine de boue, quelques éraflures et probablement quelques bleus mais entière. Le vélo d’Orianne a le guidon tout tordu par le choc et la roue désaxée. Finalement plus de peur que de mal. On se réchauffe dans un petit market où l’on demande un thé chaud et de quoi me nettoyer de la boue. Ce n’est pas notre meilleure journée, le trafic est dense, le brouillard se lève très tard et on est un peu sonnées de cette journée bizarre. Je profite néanmoins de rouler avec Yellow Arrow. Les montées sont tellement agréables ça change radicalement de mon buffle. Aujourd’hui pause vélo, on randonne dans le parc national de Dilijan. --
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