Mes jambes s’activent en enfourchant mon Buffalo adoré et j’éprouve un sentiment de joie profond, il m’avait manqué le bougre. Après quelques heures de roulage, je sens paradoxalement un sentiment de lassitude m’envahir doucement. Quittant Chantal et les sentiers touristiques je retrouve les indonésiens qui ne parlent pas anglais, les mêmes paysages de jungle, la plage et les villes sales, l’humidité, les odeurs d’ordures brûlées (très commun de brûler ses déchets en Indonésie il n’y a pas de système de ramassage des ordures), la difficulté de savoir où dormir chaque soir, des campings sauvages dans la jungle sous les averses de plus en plus régulières avançant toujours un peu plus dans la saison des pluies, entourée de moustiques. Je retrouve aussi les routes dégradées, le manque d’infrastructures, les « Hello Mister ».
Je rêve d’un bon yaourt nature avec du granola. Que chaque lampée croustille et soit fraiche à la fois. Je rêve de tomber lors d’une bouchée sur un bon morceau de chocolat noir, d’amandes ou de noix, cachés dans la cuillerée. Je rêve d’une bonne guacamole et d’un morceau de baguette avec du bon beurre et de la confiture à la framboise. Ici impossible de trouver du yaourt. Ils n’ont qu’une version à boire, très sucrée. Pas de granola ou muesli non plus. Uniquement de l’avoine très fin pour faire du porridge. Le pain n’en parlons pas il n’existe (lorsqu’on le trouve) que sous la version américaine tout mou. J’aspire à pouvoir ressortir mon réchaud et me cuisiner un bon petit plat de pâtes avec du fromage, une aubergine, des tomates et un peu de basilic. Tandis qu'une forte odeur de poisson séché me sature les narines je commence à en avoir marre de l’Indonésie. Peut-être même en ai-je marre du voyage tout court ?
Je me rends compte qu’après plus de 5 mois de voyage, mon confort commence à me manquer. C’est même la facilité, le fait d’avoir le choix qui commence à me manquer. Finalement certaines destinations sont plus aventureuses que d’autres car plus éloignées de ce que l’on connait, de nos habitudes et de notre culture.
Depuis l’Iran je n’ai fait que passer par des pays qui étaient plus ou moins loin de nos habitudes occidentales. Souvent des pays plus pauvres avec très peu d’infrastructures dès que l’on quitte les sentiers battus, peu/pas de personnes parlent anglais, les produits occidentaux ne se trouvent plus si facilement, internet est capricieux et ne parlons pas d’aller voir un film au cinéma en anglais ou de mater un épisode sur netflix. Il existe moins de routes, le trafic y est souvent important et très chaotique, les personnes étonnées de te voir débarquer à vélo te « harcèlent » pour te parler même si la communication est compliquée, la culture est très différente de la nôtre, tu comprends une fois sur deux ce qui t’arrive.
Et là depuis l’Indonésie, même les campings qui me permettait en Asie Centrale d’avoir un moment de goût de chez moi sont plus compliqués. Difficile d’acheter des légumes pour me préparer à manger. Cela me coûte moins cher de manger sur le bord de la route. Il fait très humide et puis c’est la jungle. Du coup, moins agréable de me préparer un chouette petit repas le soir avec la nuée de moustiques et de sangsues qui m’attendent à la sortie de la tente. Après deux jours de vélo, je débarque à Tanjung Balai où il est possible de passer en Malaisie par bateau le lendemain. Je décide d’abandonner le plan initial qui impliquait encore 3 jours de vélo avant le passage de frontière et je me résous à passer en Malaisie plus rapidement que prévu. Ce sera toujours la jungle mais il parait qu’on trouve du yaourt, dixit une voyageuse ukrainienne rencontrée brièvement à Medan !
7h30, après avoir avalé mon nasi goreng, je débarque toute excitée de passer ma première frontière en bateau au dock de Tanjung Balai. Il y a trois pelés et deux tondus et rien n’est ouvert. Je n’ai pas mon ticket et je n’ai qu’une vague information qu’un bateau part le matin pour Port Klang, le plus grand port de la Malaisie à une cinquantaine de kilomètres de Kuala Lumpur. Tellement typique de l’aventure en Indonésie.
Ecouteurs dans les oreilles, yeux rivés sur l’océan, je souris. Pourtant je n’ai pas bien saisi pourquoi mon passeport est passé de main en main et a désormais un petit autocollant dessus, je ne comprends pas non plus les explications de sécurité du policier ou garde côte qui ne parle qu’en Indonésien. Alors qu’il doit faire 30° dehors, il fait un froid de canard dans le bateau à cause de l’air conditionné et j’ai évidemment oublié mon pull dans mon bagage désormais inaccessible. Les indonésiens m’offrent un ballet original saveur tabac pour pouvoir tirer leur dose de nicotine toutes les 10 minutes et la raison pour laquelle un mec appelle des gens dans le bateau me restera inconnue pendant toute la traversée mais ce qui me fait sourire c’est que Buffalo et moi on soit dans le bateau et que dans approximativement 5 heures on sera en Malaisie.
J’ai presque les larmes aux yeux en arrivant devant le rayon frais du supermarché les mains déjà pleines d’avocats, granola, chocolat, j’ai même du choix pour mon pot de yaourt nature ! Du choix, on oublie à quel point c’est un luxe qu’on a tous les jours en occident. La Malaisie s’avère une destination très facile à voyager en tant qu’occidental. La route est belle, les rues sont organisées et propres. Les voitures et moto s’arrêtent aux feux rouges, de grands supermarchés offrent du choix (légumes, fruits et produits en tout types). Les gens parlent anglais. Je chéris en moi-même ma décision d’être passée en Malaisie plus tôt.
Tout en descendant les escalators d’un grand centre commercial (légion ici), je divague sur mon empressement à retrouver mon confort occidental et tout ce qu’il signifie : le capitalisme, la surconsommation, l’opulence. Même si ma bouchée de muesli face à mon film netflix est un pur bonheur, à la vue des foules se pressant dans les nombreux malls de la capitale malaisienne, je sens que je n’ai pas pour autant perdu de mon scepticisme face à ce système et ses limites si destructrices pour les gens et la planète.
KL (Kuala Lumpur pour les intimes) est une ville qui me fait penser à Bruxelles. Beaucoup d’espaces verts, un petit quartier colonial historique, un melting-pot de genres, cultures et de religions. Ici se croisent hindous, bouddhistes, musulmans, chrétiens, chinois, indiens et malais sans compter les nombreux expats. Un régal pour mes sens qui voyagent à la découverte des odeurs d’encens des temples hindous et bouddhistes, des couleurs vives des mélanges et des saveurs exotiques. Mon estomac vogue d’un fumet à l’autre au gré de ses envies du moment.
Je suis accueillie par Simon, Isabelle et Léo, voyageurs à vélo aussi, membres de warmshowers et de la grande communauté d’expatriés à KL. On partage inévitablement nos souvenirs de nos voyages respectifs. C’est dingue à quel point le fait d’être voyageur à vélo permet de rapprocher si rapidement des individus qui se connaissent à peine. Buffalo arpente les kilomètres dans la capitale et ses alentours sur leurs conseils avisés et j’en prends plein la vue. J'en profite pour faire un saut à la charmante Malacca, le plus ancien port de Malaisie fondée en 1400. Marquée par l'empreinte coloniale de la présence portugaise, néerlandaise et anglaise, la ville vaut le détour pour son histoire.
Gorgée de toutes les recommandations de mes warmshowers je repars sur les routes vers les Cameron Highlands avec même un cadeau de noël pour Buffalo : deux pneus schwalbes marathon plus. Yes ! Je les cherche en vain depuis l’Arménie. Bon y’a pas à dire c’est quand même facile le capitalisme et le modèle occidental. *Soupir* La route vers un changement de modèle est encore longue et pavée de difficultés mais aujourd’hui je fais la fête tout en reprenant la route avec Buffalo, une banque éthique, durable et citoyenne verra le jour en Belgique (New-B). Au gré des rencontres extraordinaires que m’offrent ce voyage et de mes magnifiques proches et amis qui m’entouraient déjà dans ma vie à Bruxelles, je reste persuadée que l’humain est capable de construire un autre monde, si on prend le temps d’y oeuvrer ensemble.
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