Waouw ça fait du bien d’avancer, 110 km finger in ze noze ! On quitte Alichur le vent dans le dos, sur de l’asphalte correct, peu de dénivelé parce qu’essentiellement sur un plateau à 3500 d’altitude. On avait prévu pour être tranquille deux jours pour atteindre Murghab mais on y arrive le jour même à 15h30 en ayant fait une bonne pause à midi. Le paysage pour y arriver est sublime, une sorte de canyon couleur sable, des montagnes rocheuses à gauche et à droite. Yaks, chèvres et moutons paissent dans une vallée jaune, comme séchée presque brulée par le soleil, en fond les montagnes bleues, sables, brunes et rouges, Murghab se dessine à l’horizon. Dansant sur mon vélo au rythme d’Uptown Funk qui résonne dans mon baffle je savoure ce moment d’arrivée dans cette dernière ville d’importance du Tadjikistan. C’est finalement davantage une bourgade qu’une ville en tant que telle.
Pause bière, quelques courses et nous voilà reparti le lendemain pour attaquer le plus haut col de la route: Ak-Baïkal à 4655m. Vers 11h un vent de face se lève ralentissant considérablement notre ascension. Je sens mes crevasses que le froid et le vent ont creusé sur mes pouces, mes mains sont congelées l’air s’est rafraîchi depuis le matin. Le vent nous glace, j’éprouve le souffle givré de la bise de l’altitude dès que nous nous arrêtons mais je finis par la ressentir aussi en roulant ainsi que mes doigts de pied dont la sensation a disparu depuis quelques heures. La faute au soleil qui se cache derrière les pics enneigés que je peux pratiquement toucher du bras.
Une fumée sort d’une petite maisonnée qui semble sortie de nulle part dans cette immensité vide et enneigée. La perspective de la chaleur du poêle activent mes jambes pour qu’elles se hâtent d’atteindre ce cocon. Cette famille accueillera 5 cyclistes cette nuit en échange d’une dizaine de dollars chacun pour le gîte et le couvert. Valentin, JC et moi avons rencontré un couple de suisse Véronica et Raymo en chemin pour l’ascension et nous nous sommes naturellement mis à rouler ensemble. Camper aurait pu être une option mais vu notre état de congélation nous sommes très heureux d’avoir trouvé quelques âmes vivantes à cette altitude (4400m). Les deux plus jeunes enfants de ce couple nous observent et nous sourient tout en jetant des regards vers la petite télé au fond de la maisonnée. Un énorme plov (plat typique depuis l’Ouzbékistan composé de riz cuit dans beaucoup d’huile, d’oignons et de viande de moutons), du pain, du beurre et du chaï (thé) à foison finissent par nous réchauffer. Alignés en rang d’oignons sur les futons, livres à la main, 19h et prêt à dormir. Comme souvent dans les homestay sur la route du Pamir on partagera tous la même pièce pour la nuit. La famille et nous uniquement séparé par une mince cloison où se trouve le poêle et la « cuisine ».
J’ai peu dormi, en altitude l’air est rare et la respiration est moins naturelle. Uniquement 2km avant le col, 200m de dénivelé, je me rends compte en payant le homestay que j’ai non seulement trop payé le homestay à Murghab la veille (10$) mais qu’en plus j’ai perdu un billet de 100$ probablement s’est-il envolé parterre pendant que je réglais la nuit. Inspiration, respiration, je me convainc que je ne peux plus rien faire et cet argent fera probablement un.e heureux.se à Murghab.
4655m ! On l’a fait ! On décide de monter à pied sur une butte à côté du col. Sur le vélo on ne le percevait pas tellement mais à pied, je constate que je suis très lente pour monter cette petite côte d’environ 500m. La vue est imprenable sur les cols enneigés et la vallée en contrebas, grandiose, mes pupilles se régalent face au panorama. Gonflée d’orgueil, j’éprouve une grande fierté d’être arrivée ici à la force de mes cuisses.
Il est 16h30 au lac bleu azur de Karakoul cerné par des montagnes enneigées et un pâturage d’herbe jaune. Plongés dans nos lectures respectives à 4000m d’altitude, nos tentes sont montées et nous sommes tous les trois emmitouflés dans nos sacs de couchage à se demander par tente interposée si l’on se laisse emporter par les bras de morphée ou si l’on fait l’effort surhumain de partir en quête d’une bière dans le village qui compte deux bars selon maps.me avant de préparer à manger. Finalement on se décide à sortir pour terminer dans le premier bar à 400m de nos tentes où il n’y a pas de bière. On se régale de laghman plat typique d’Asie centrale, sorte de soupe aux nouilles avec des petits légumes (ici en hauteur surtout de l’ail, oignon et patates) et de pain au beurre de yak (très bon) ainsi que du thé. Bref un repas très classique d’Asie centrale.
Fin du voyage au Tadjikistan, on a prévu de passer la frontière avec le Kirghizstan ce jour-là. Deux cols nous attendent. On passe le premier sereinement à 4254m. Pour le deuxième, les derniers kilomètres, la neige tombent à petit flocon tapissant petit à petit la route. On ressemble à des guerriers sortis de la brume lorsqu’on arrive au poste frontière tadjik pour recevoir notre tampon de sortie. Deux touristes en jeep m’interpellent : « But this looks crazy, we are at 4000m high and you are here with your bikes » - « hum, yes! But you know a lot of bikers do that all the time, it’s just that today it looks spectacular because it’s snowing but it’s quite common you know ».
Après le poste tadjik, il nous faut gravir le col à 4289 m que l’on passera sous la neige avant de redescendre. Clic, petite photo et on repart avant de se frigorifier sur place. Il est 13h et nous sommes trempés et refroidis par la neige, on décide de s’arrêter dans un homestay dans le no man’s land entre le Tadjikistan et le Kirghizistan, nous avons en effet toujours pas de tampon Kirghiz sur notre passeport car le poste frontière est une vingtaine de kilomètres plus loin. Cette situation ubuesque me fait sourire. Je repense à ma tendre Belgique et ses milles et une complications administratives et situations similaires. La flemme nous guette, on se sent bien dans cette petite famille où deux marmots jouent avec nous. On décide d’y rester pour la nuit. Surprise, Veronica et Raymo, le couple de suisse, nous rejoignent un peu plus tard également.
Le soleil est à peine levé, j’enfile ma veste et mes baskets pour me rendre aux toilettes dehors et je remarque que le sol est tout blanc et qu’il neige à gros flocons. Les toilettes (enfin le trou dans le sol de la cabane) sont couvertes de neige. Partir ou pas telle est la question ? Va-t-on rester coincé ici longtemps si l’on décide de rester surtout qu’il n’y a que 15km d’ici au poste frontière kirghiz plus bas. A priori, le temps devrait se réchauffer en descendant vers Sari-Tash.
Emmitouflés dans tout ce qu’il m’est possible, tels des explorateurs, après quelques lancers de boule de neige, nous sommes tous fin prêts pour le départ, notre hôte remuant la tête de désapprobation de nous voir partir pensant probablement que nous sommes fous de partir sur une route de piste sous la neige. Je passe les 10 premières minutes à apprécier cette aventure avant de regretter mon départ. Les sacs plastiques entourant mes baskets n’ont pas tenus, mes pieds sont déjà trempés et congelés. On a fait 100m et on avance au pas poussant la plupart du temps les vélos du coup maintenant j’ai même trop chaud sous mes vestes à cause de l’effort. Les rares moments où l’on peut rouler quelques minutes on glisse sous les irrégularités de la route et on tombe dans la poudreuse. Tout est blanc et c’est magnifique mais je suis d’humeur râleuse, je m’en veux à moi-même d’être partie alors que je me savais pas équipée pour. Je n’aime pas râler, je n’aime pas ne pas être de mauvaise humeur et mettre une mauvaise ambiance dans le groupe, et surtout je ne peux m’en prendre qu’à moi-même de m’être crue plus forte que ce que je ne suis réellement. Je continue à avancer en râlant intérieurement, il n’y a rien à faire de toute façon si ce n’est avancer et prier pour que la neige s’estompe en descendant.
Après 3h d’effort dans la neige on atteint le poste frontière. L’état de la route s’est amélioré, il a arrêté de neiger et la route est tout à fait roulable. JC me file ses chaussures de marche, je sèche tant bien que mal mes pieds insensibles pour enfiler des chaussures sèches et continuer vers Sari-Tash. La route est à nouveau épatante de beauté blanche immaculée. Le pic Lénine haut de 7134m nous observe depuis la route. Il ressemble à une grosse pièce montée bordée généreusement de sucre glace. Arrivés dans un hostel restaurant, on se réchauffe en se pétant la panse (manti au menu (excellents raviolis à la viande et au bouillon) plov pour moi et soupe pour les garçons suivi d’une orgie de biscuits)) et en trinquant ensemble à cette épreuve un peu folle que je suis malgré tout contente d’avoir fait.
Plus que deux cols (3550 m et 2389m) pour notre descente vers Osh situé à 938m d’altitude et à 180 km de Sari-Tash. Dès le passage du premier col durant la descente je sens que le climat se réchauffe. J’aperçois plein de magnifiques chevaux kirghizs brouter sur le relief de collines et plaines jaunes, c’est beau et quel plaisir de retrouver un peu de végétation, des arbres, des gens et la douceur. Les hautes altitudes sont plutôt arides.
Le feu crépite pendant qu’on prépare notre tambouille de lentilles aux patates. Le repas sera agrémenté de chapatis que JC nous a préparé et qu’on fera cuire sur les braises. On se régale et on termine notre repas comme d’habitude de biscuits, chocolat et thé. Demain dernier col et dernière ville où l’on compte se reposer, visiter un peu, bien manger, faire la fête avant la séparation de notre petit groupe car chacun repart de son côté. Valentin rentre en France, JC retourne à Sari-Tash pour rejoindre la Chine (dont la frontière est toute proche) et je pars vers Bichkek pour prendre mon avion fin du mois d’octobre pour Jakarta et sa chaleur tropicale. Finies les blagues de JC et Valentin sur mes belgitudes, fini la route du Pamir. Après un plus de deux très chouettes mois de voyage communs plutôt inattendus (on avait ni l’un ni l’autre prévu de passer autant de temps à voyager ensemble) avec JC nos chemins se séparent et une nouvelle page du voyage se tourne. Je suis néanmoins heureuse de repartir un peu seule pour avoir du temps pour moi tout en comptant un nouvel ami.
Note géopolitique (on ne se refait pas héhé) : Je ne vais pas tout de suite en Chine puisque je la traverserai probablement du Vietnam ou du Laos ce qui n’est pas le cas de JC qui traverse directement par la région du Xijiang. Je n’ai pu néanmoins m’empêcher d’écouter aux portes lorsqu’il se renseignait sur les routes. Contrairement à JC, la plupart des cyclistes ne roulent pas dans le désert du Taklamakan surnommé la mer de la mort (ouais ça donne envie hein). Déjà il fait froid, il n’y a rien pendant près de 1000km mais surtout les autorités chinoises sont très tendues dans cette région où une minorité Ouïghours (peuple turcophone et musulman proche des ouzbeks) se fait sévèrement réprimer. Cette région autonome de la Chine qui n’a eu comme tort que d’attiser les peurs de Pékin d’une sécession à la chute de l’URSS subit aujourd’hui des avortements forcés, des contrôles des naissances, des déportations, des emprisonnements dans des camps de travail. Pékin ne souhaite visiblement laisser aucune chance à ce peuple à l’Ouest de la Chine et force une assimilation. Les autorités ont apparemment tellement peur des journalistes ou récoltes de témoignages qu’ils suivent les cyclistes sur des kilomètres pour les surveiller et les embarquent de force sur certaines zones pour les déposer 150 km plus loin afin qu’ils ne « tombent » pas accidentellement sur les camps de travail. Il est également interdit de camper dans la région pour la même raison et les policiers forcent les voyageurs à prendre des nuits d’hôtel et t’y amènent manu militari. Les voyageurs n’ont pas le droit non plus de passer dans certaines villes. Les associations pour les droits de l’homme ont énormément de mal à rassembler des preuves car les autorités chinoises fouillent les téléphones de tous les voyageurs en quête de contacts, tes affaires personnelles sont également extrêmement bien inspectées pour éviter que tu amènes couteau, pétrole ou autres objets qui pourraient être utilisé pour une éventuelle révolte. J’avais vaguement entendu parlé des Ouïghours lorsque j’étais à Bruxelles mais j’étais loin de me douter de l’ampleur des violences et même si comme toujours en géopolitique ces informations peuvent être utilisées entre puissance notamment américaine et chinoise dans ce cas ci pour influencer l’opinion que nous avons de ces pays cela n’empêche que l’horreur se produise malgré tout et ne l’excuse en aucun cas.
Pour plus d’informations un article de libération sur le cas https://www.liberation.fr/planete/2018/08/29/ouighours-les-camps-secrets-du-regime-chinois_1675335
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