Un parfum de nouveau départ dans le nez et la sensation d’une page qui se tourne, je me sens partagée. A la fois heureuse de repartir sur les routes et triste de laisser ma bande de cyclotouristes du Pamir. En un mois, Valentin, JC et moi avons rencontré, puis croisé à plusieurs reprises les mêmes cyclistes. Nous sommes environ une trentaine sur la route au même moment, on finit par tous se connaitre et à être une grande famille. C’est un vrai plaisir de se recroiser à plusieurs moments et partager de simples tranches de vie.
Ca s’affaire dans la cuisine pour nos papilles respectives. Véronica partage son expertise à JC sur la meilleure manière de cuire les gnocchis. Jess et Cathy, un couple de cyclistes anglaises, ramènent les bières et leur bonne humeur désormais légendaire. Je suis assez fier de nous, on a réussi à faire le free walking tour d’Osh avec un local, les courses et la cuisine après une très chouette soirée arrosée la veille. Son à fond les ballons dans une boite kirghize dans laquelle on s’est retrouvé après notre restaurant italien on a enchaîné bières, bouteille de vin, calvados local (oui le Kirghistan produit du Calvados et il est pas trop mauvais), shot de vodka, gin tonic, chicha et déhanchement sur le dancefloor. Je me suis réveillée le lendemain la voix rauque, les poumons encrassés et les yeux cernés en me rappelant ce qu’est un lendemain de veille. Il faut dire que ma dernière soirée remonte à longtemps et que depuis le début du voyage je vis assez sainement. Réveil à 6h, petit déjeuner muesli et fruits, routine de yoga, journée de vélo, sieste à midi et étirements le soir, je m’endors rarement plus tard que 21h30.
Juste au moment de partir, Adrien un autre cylco français s’apprête également à partir pour Bishkek on décide de rouler ensemble. Depuis mon entrée au Kirghistan une bonne odeur que je n’arrive pas à identifier imprègne mes narines. Je la retrouve sur cette route où le trafic est plus dense que lors des derniers jours. La route est simple et facile, on roule bien. Le paysage de forêt et campagne est beau et simple sans être grandiose.
En quittant la route pour trouver un endroit de campement, Buffalo retrouve les joies de se prendre pour un VTT et roule en descente sur de jolies collines jaunes vers la rivière. Mon thé encore en train d’infuser, Adrien et moi préparons nos mueslis respectifs pendant qu’un cavalier vient à notre rencontre. Il ne parle pas anglais mais nous propose de monter sur le cheval et de faire des photos. Rencontre inattendue qui nous fait sourire à 7h du matin.
Nous décortiquons des noix offertes en chemin à la frontale. Nos lampes sont pourtant à peine nécessaires avec la lumière de la pleine lune. Un homme s’approche avec une petite lampe de poche. On se demande en un éclair si l’on va devoir replier le campement si tard mais le voisin vient seulement nous demander si l’on souhaite venir prendre le « chaï » chez lui. On accepte de bon coeur en lui expliquant qu’on a déjà mangé et qu’on viendra juste pour le thé. En arrivant une table remplie de victuailles en tout genre est dressée pour nous. Adrien et moi échangeons un regard entendu, il va falloir faire de la place dans nos estomacs pour manger une deuxième fois. On repartira une heure plus tard vers nos tentes, nos ventres prêts à exploser et des victuailles plein les bras.
L’air est bon, la température est juste parfaite et la vue du barrage de Toktogul est magnifique. Je sors mon appareil photo pour faire une petite vidéo. Le téléphone me glisse des mains et là en un éclair je ne pense plus qu’à mon petit smartphone et je pile. Le vélo zigzague et bam, ma tête heurte le sol assez violemment mais je me relève malgré tout pour récupérer mon petit bijou de technologie. Des taches de sang gouttent sur buffalo, mon baffle, mes baskets et mes vêtements. Zut je me dis que j’ai dû me faire relativement mal. Je me sens stupide. Adrien derrière moi, arrive quelques minutes plus tard. Il me désinfecte comme il peut et me bande le visage en me suggérant de faire du stop pour atteindre la clinique de toktogul car je vais probablement avoir besoin de points de suture. Zut et rezut non seulement mon téléphone est mort mais en plus je suis bien amochée : rhalala nadia. J’acquiesce et on arrête un camion qui accepte de nous prendre tous les deux. Je sens que mon visage me brûle de partout. Adrien me demande gentiment si tout va bien. Il ajoute « Je veux pas te mettre le cafard mais il faudra probablement que tu ailles à Bishkek en voiture ». Ouep, je lui réponds : « J’ai déduis ça en analysant la situation tout à l’heure. En fait j’osais pas te le dire mais c’est juste que je ne voulais pas faire les deux derniers cols » . On rigole tous les deux mais intérieurement je suis assez déçue de devoir faire une croix sur cette partie de la route, c’est apparemment la plus belle.
Une heure et demi et 60 km plus tard, Adrien, ma tête momifiée et moi sommes devant la clinique de la ville de Toktogul. « Hello, Salaam? » Y’a pas l’air d’avoir grand monde dans cette clinique mais on fini par trouver le docteur au troisième étage. Pas de bol pour moi il ne parle pas anglais. Je comprends que je dois m’allonger sur la table d’examen et là paf c’est parti, il désinfecte les plaies et m’injecte les anesthésiants sur le visage. Je dis à Adrien qu’il n’est pas obligé de rester et que je vais me débrouiller, il part déposer les vélos dans une homestay pour qu’on se repose tranquillement cette nuit. Je ne sais toujours pas à quoi je ressemble mais probablement pas à grand chose car une jeune fille s’approche quelques minutes plus tard et me demande dans un anglais approximatif si je vais bien. Tout en faisant une mine dégoûtée pendant que le médecin me recoud elle me demande : « Are you beautiful ? ». Je rigole malgré la douleur au visage à cette bonne blague parce que là c’est sur que non. La deuxième question « Are you married ? » fini de me convaincre que je ne dois pas être belle à voir. Je tente de la rassurer en lui disant que la bonne nouvelle c’est que j’ai toutes mes dents. Une trentaine de minutes plus tard, le médecin me bande de pansements et me fait signe que je dois me rendre dans son bureau. Je ne sais toujours pas à quoi je ressemble, si je vais avoir des cicatrices, ce que je dois faire pour me soigner ni combien de temps je vais mettre pour être à nouveau sur pied, je le suis dans son bureau. Il me demande mon nom et mon adresse et me fait comprendre que je dois aller à Bishkek si je veux plus d’explications. Sans rien payer car le médecin n’avait pas l’air de savoir combien je lui devais, je suis repartie comme je suis venue attendre Adrien devant la clinique.
Le trajet est ridiculement bon marché. Je payerai le double une place pour Buffalo, une pour moi (malgré le fait que Buffalo soit démonté mais bref) donc 1000 som soit 13€ pour faire 300km. La route monte lentement et offre des décors de montagnes, forets et cascades pour ensuite s’ouvrir sur une vue complètement blanche des hauteurs (il a neigé la veille tout est encore tout propre). C’est sublime. J’ai un pincement au coeur de ne pas pouvoir la faire à vélo mais c’est la vie. Le taxi collectif me débarque 4h plus tard à Bishkek, je ne sais pas où je suis, mon téléphone est toujours dans le coma et le taximan qui ne parle évidemment pas anglais n’a pas l’air de vouloir me déposer à l’adresse de mon hostel. Après une négociation infructueuse et quelques soupirs de ma part, je remonte Buffalo et je me remets en selle en ayant plus ou moins mémorisé le trajet. Je suis à une dizaine de kilomètres de l’hostel et les noms des rues sont écrits en russe (pratique hein). Les passants se demandent en me voyant rouler ce que fait cette dingue à vélo gonflée et couverte de pansements. Je me demande pareil, je sens que mon corps mets toute son énergie pour panser mes plaies du visage bref j’ai besoin de repos.
Dès mon arrivée à l’Imagine Hostel je m’y sens bien. Pas de réception, Roma, le proprio cigarette au bec bonne trentaine semble peu inquiet de mon état et n’exige pas mon passeport. J’aime le fait que le chat de l’hostel vienne s’installer sur ma couette pendant que j’écris. Le coût par nuit est ridiculement petit (200 som soit 3€) tant mieux parce que je compte y rester quelques nuits. J’y rencontre Varup, un voyageur indien, toujours de bonne humeur, youtubeur il traîne dans l’hostel depuis plusieurs nuits. Son quotidien se résume à se lever, réceptionner sa nourriture qu’il commande à des indiens qui préparent des plats indiens pour les innombrables étudiants en médecine indiens qui habitent à Bishkek, travailler sur son ordinateur, discuter avec les autres voyageurs et se coucher. Olga de République Tchèque, arrive ensuite, je suis heureuse de la retrouver. On s’est rencontré à l’hostel d’Osh. On a tout de suite accroché. En discutant rapidement avec elle, je me suis vite rendue compte qu’on avait beaucoup de similarités toutes les deux outre notre âge : sorties de longues relations, réflexions sur la vie, nos envies, nos choix, soif de liberté, engagements dans la société, goût des rencontres et du voyage évidemment. Matthias, 38 ans allemand, Sarah, 27 ans autrichienne, Maxime, 26 ans français et Jacob, 19 ans allemand viennent compléter la joyeuse troupe de glandeurs de l’hostel sans compter mon désormais buddy Adrien qui arrive 3 jours plus tard. Cela fait 4 jours que je suis là mais j’ai l’impression d’être chez moi, toujours quelqu’un aux fourneaux dans la cuisine à partager son repas. En sortant la veille avec la troupe pour un concert de rock on s’est dit qu’on rentrait « à la maison ». En rentrant à 3h on croise Roma et Jacob encore scotché sur leur écran devant une série. J’ai l’impression de vivre en coloc.
Tout en préparant mon petit déjeuner, je dois supporter le chant faux de Roxanna dans la cuisine. Elle me fait sourire. Roxanna est malheureusement un peu dérangée, probablement schizophrène elle parle toute seule en jurant en russe au téléphone tous les matins et fait des allers retours bruyants dans la chambre entre 6h et 8h, elle ne semble pas avoir eu une vie facile. Mais Roma n’a pas le coeur à la jeter dehors.
Sarah et moi avons décidé aujourd’hui de faire quelquechose de notre journée. Visite d’Issyk-ata à 50 km de Bishkek, il y aurait de sources d’eau chaude et une cascade. Ce sont les premiers jours de voyage pour Sarah qui était un peu inquiète de faire du stop toute seule, elle est donc heureuse que je l’accompagne pour l’excursion. Dès la sortie de la ville, les belles couleurs automnales des plaines jaune, rouge et verte se conjuguent avec les montagnes blanches en fond. Sarah illuminée d’un joyeux sourire est heureuse de pouvoir voir autre chose que Bishkek (qui ne présente pas vraiment d’intérêt culturel). En revenant à l’hostel, Varup me lance avec son grand sourire de dents toutes blanches : « So Nadia how are you today ? ». Je ne pense pas que j’aurai pu rêver meilleur endroit pour me reposer et me remettre d’aplomb avant mon départ pour l’Asie du Sud-Est.
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