J’observe amusée les nombreuses femmes en mobylettes dont les voiles s’envolent à l’arrière de leur casque. Indépendantes et insoumises, elles rient quand je réponds à leur salut qu’elles me lancent avec vigueur. Elles semblent tellement loin de ces débat stériles en France sur le port des signes convictionnels. Une petite écolière en jupe longue pourpre et chemise blanche a dévoilé ses magnifiques cheveux couleur jais. Nous échangeons un sourire. Plusieurs mosquées teintent de blanc le paysage vert de la jungle. Je débarque par hasard à la sortie des classes dans un village où les Madrasah, écoles musulmanes, pour garçons sont légion. Des hordes de jeunes hommes en uniforme composé d’une djellaba et d’un petit chapeau plat remontent la rue principale. Ils s’engouffrent par dizaine, les bouches remplies de sucreries, sur les becaqs, side-car locaux, ou s’entassent sur les toîts des minibus. Ils me sourient et ma saluent en me lançant des « Hello Mrs, how are you ? ». Je me sens bien. C’est un profond plaisir d’échanger ces sourires avec tous ces inconnus pendant toute la journée.
Quelques instants après m’être trouvée nez à nez avec un varan qui traversait tranquillement la route, une nuée de chauve-souris géantes dites roussette de Malaisie passent au-dessus ma tête. En réalisant ce dont je viens d’être témoin, je m’arrête pour les observer un moment impressionnée par la taille des ces bestioles. Je réalise encore davantage que je suis dans la jungle. J’alterne entre portion de routes fréquentées et d’autres plus désertes où j’ai le loisir d’écouter les milles et un jacassement de la jungle. J’avais envisagé de camper mais vu la végétation luxuriante et les animaux que j’ai croisé, je décide de plutôt prendre une nuit dans un hôtel local. Je suis accueillie par les grands yeux écarquillés de la propriétaire qui n’a pas l’air d’en revenir de voir une touriste s’arrêter dans son établissement. Surement mieux qu’avec les araignées et les serpents de la jungle, le standing reste néanmoins sommaire. J’en viens presqu’à regretter la moustiquaire de ma tente surtout que sans air conditionné la chambre est toute aussi chaude et moite que si je me trouvais à l’extérieur. Une seule porte me sépare du réceptionniste et l’architecte a eu la lumineuse idée de faire des trous dans le mur au-dessus de la porte ce qui me permet d’apprécier l’odeur d’un paquet entier de cigarettes parti en fumé dans la soirée ainsi que le son de l’émission de télé locale et la lumière de la réception qui ne s’éteindra jamais.
En arrivant vers Padang Sidempuan, je me fais accoster par un scooter. Monsieur Lu est professeur d’anglais. Il m’invite à boire un soda et souhaite discuter car il cherche un moyen de pratiquer son anglais. Il insiste pour m’accueillir chez lui. Sa femme, professeur de primaire, me prend de suite en sympathie et m’adopte comme sa fille. « You are Nadia Manalu » me lance-t-elle, leur nom de famille. Mes parents adoptifs d’un soir mettront un point d’honneur à me faire visiter la ville et me faire découvrir les spécialités de leur région dont le durian et le solok, des fruits typiques. Le lendemain Mrs Lu souhaite que je l’accompagne à l’école pour me présenter à ses élèves. Je suis envahie de jeunes enfants au grand sourire curieux de ma venue dans leur école.
Le soleil brille et l’air est doux lorsque je repars tout sourire de Padang Sidempuan en me faisant la réflexion que la vie est quand même belle. Le destin se charge de me rappeler que le sentiment de bonheur ou plénitude n’a vocation qu’à être passager lorsque je crève en descente. Mon pneu s’est ouvert sur le flanc. Si la vue d’un pneu abîmé aurait pu me mettre le moral à plat il y a quelques mois, je suis dorénavant plus philosophe et je pars en quête d’un papier plastique pour boucher mon trou et éviter une nouvelle crevaison de la chambre à air. L’Indonésie est sale, des centaines de plastiques jonchent les bords de la route, il ne me faut pas plus d’une quinzaine de minutes pour repartir vers le lac Toba. Si les plastiques sont nombreux, je découvre qu’ils ne sont pas de bonne qualité, je crève à nouveau du même pneu quelques heures plus tard. Cette fois ci j’emploie la manière forte : rustine et bout de chambre à air pour boucher le trou. Quatre hommes intrigués observent ma réparation. Je repars tête haute, fière d’en avoir bouché un coin aux quelques machos indonésiens.
A mesure que le jour avance et que la pluie s’abat sur la jungle, je vois s’éloigner mon objectif de 100km de la journée. La nuit tombée, trempée, une vingtaine de kilomètres de montée restantes pour atteindre mon objectif, je capitule et cherche un abri pour la nuit. Une maison abandonnée à quelques mètres de la route semble faire l’affaire. Le parquet imbibé d’humidité manque de s’effondrer mais le toit protège encore l’intérieur de la maison et j’ai juste un espace suffisant de parquet solide pour mettre ma tente. Ce soir je partage mon dortoir avec une chauve-souris et quelques araignées.
La lumière de lampes torches s’approchent de mon campement et me sortent de mon roman de Dany Lafférière. « Oui, c’est à quel propos ? » « Zip » j’ouvre ma tente pour découvrir une bande d’hommes surpris et curieux de savoir qui s’est installé là. « Where do you comme from ? » « Don’t sleep in here, not safe ! Lots of snakes ». Ils me proposent de me loger chez eux. Pfff la flemme de tout replier. Je décline gentiment. Etant en hauteur dans une maison et qui est plus est dans ma tente je ne vois pas très bien comment les serpents pourraient être un danger. Finalement je cèderai lors de la deuxième tentative des habitants et je décampe en pijama vers la maison de mon hôte, Steven. La bonne nouvelle c’est que je vais pouvoir prendre une douche.
« If you are tired you can sleep any time » me lance Steven en me montrant du doigt une couverture et un espace à côté des enfants déjà endormis sur la natte de jonc. Ici pas besoin de baby phone, les parents discutent et fument avec les voisins à côté de leurs enfants endormis.Toute la famille (moi compris) dormira dans la même pièce à même le sol. La lumière ne s’éteindra pas de la nuit.
Les voix du choeur s’élèvent dans cette petite église à proximité du Lac Toba. En quinze minutes j’a été immergée dans la culture batak et ses traditions. M’étant arrêté pour prendre une photo des premières vues sublimes du lac une jeune fille me propose de visiter son église et on finira par danser tous ensemble une danse batak traditionnelle. Le lac d’origine volcanique perché à 1000m d’altitude est une des attractions touristiques majeures de l’île de Sumatra et je comprends vite pourquoi. Je profite des vues spectaculaires qu’offre ce bijou de la nature avant d’entamer une belle descente de 70km vers Medan pour rejoindre mon amie Chantal.
Quelques gouttes de sueur perlent sur mon front pendant que je discute sous le porche avec F. ma couchsurfeuse à Medan. Je suis admirative de ce petit bout de jeune femme indépendante, déterminée à poursuivre sa passion du voyage. Etant une femme de 24 ans musulmane et indonésienne elle ne se situe malheureusement pas pour elle du côté des privilégiés. On se partage nos expériences de couchsurfing et nos aventures. Au fil de la discussion elle partage une tentative de viol qu’elle a subi lors de sa dernière visite à Singapour. Ce garçon qu’elle pensait pourtant bien intentionné.« Un bon musulman » me dit-elle, avec qui elle échangeait depuis 2 ans sur les réseaux sociaux à propos de l’Islam et des voyages s’est avéré un goujat, un connard, une brute choisissez le mot qui convient. Elle me dit tout en souriant qu’elle a du se débattre lorsqu’il la maintenu sur le lit avant qu’il ne se ravise et la lâche. Le lendemain elle pleurait encore, les muscles endoloris. « Ce que je ne comprends pas c’est qu’il ne s’est même pas excusé de ce qu’il a fait et ne m’a plus jamais recontacté ». me dit-elle. Je la rassure comme je peux. « Moi aussi j’ai pleuré après avoir subi des attouchements. Et puis il n’a aucun droit de te faire ça. Tu n’y es pour rien. C’est grave ce qu’il a fait. Il ne mérite même plus ton attention ». Tout pourrait nous opposer elle et moi mais on se retrouve tellement proche à se soutenir mutuellement sous ce porche dans notre condition de femme et notre goût de l’évasion. Toutes les deux à la merci d’agressions du sexe opposé alors qu’on ne fait que poursuivre nos rêves de voyage et de découvertes. Elle me lance en souriant « J’aimerais partir d’ici, peut-être aller vivre à Kuala Lumpur ou à Bali ». A cet instant précis, je me rappelle pourquoi je suis partie en voyage et je suis heureuse qu’une femme musulmane à l’autre bout de la planète ne se laisse pas museler par les hommes et poursuive ses rêves. Je souris. Définitivement les femmes ici sont si loin des débats français et de cette prétendue soumission au port du voile.
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